• Le Grand emprunt ou comment le gouvernement fait sa propre publicité.


    L’annonce en grande pompe à Versailles

    La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit la possibilité pour le président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès (art.18). Cette mesure au combien emblématique, et presque à elle seule à l’origine de la révision constitutionnelle, a débouché sur le discours de N. Sarkozy devant le Congrès le 22 juin 2009 ; ce discours de politique générale sans grand intérêt a eu pour seul effet d’annonce, celui d’un « Grand emprunt » auprès des particuliersdiscours présidentiel le plus cher de l’histoire… ou des marchés pour relancer l’investissement en y associant la population française. L’organisation de la réunion du Versailles aurait coûté la modique somme de 500 000 à un million d’euros (selon les députés PS René Dosière et André Vallini), ce qui en fait sans doute le

    Le symbolisme de la commission Juppé-Rocard

    Pour mettre un peu plus en valeur cette annonce, N. Sarkozy fait appel à deux anciens premiers ministres : Alain Juppé et Michel Rocard, tous deux anciens inspecteurs généraux des finances, poursuivant au passage sa politique « d’ouverture » (ou de débauchage). Cette mesure, au combien symbolique, a pour objectif de transcender les clivages politiques, de faire appel « à tous les talents de la nation » pour faire de cette mesure jusque là vide de sens un grand projet d’intérêt général.

    Une commission de 24 membres (dont trois anciens membres du cabinet Jospin) a été mise en place le 26 août, pour réfléchir aux modalités et aux usages de cet emprunt (« des dépenses d’avenir »), pas à son montant (même si elle l’a fait) et pour tenter s’expliquer au Français qu’il ne s’agit pas d’un second plan de relance. Elle devait rendre ses conclusions avant le 1er novembre ; elles sont attendues d’ici la fin de la semaine, mais nous sommes actuellement à l’heure des suppositions.

    Un emprunt sans doute souscrit par les marchés financiers

    Il paraît aujourd’hui peu probable que cet emprunt soit souscrit auprès des particuliers. Cette mesure, annoncée à Versailles, aurait eu l’avantage de faire participer la population à un effort national pour l’investissement, même si comme le souligne Pierre Moscovici « il aurait favorisé les Français les plus aisés en échange de cadeaux fiscaux ». Au lieu de cela, cet emprunt, sans doute souscrit auprès des marchés financiers, sera un emprunt tout ce qu’il ya de plus classique, comme emprunte tous les jours l’Agence Française-Trésor pour financer le budget de l’Etat en augmentant la dette publique. Le « Grand emprunt » perd ici sa seule originalité, il apparait dès lors comme le prolongement du plan de relance, qui s’avère insuffisant au niveau de sa partie investissement (seulement 8 des 26 milliards du plan).

    Le débat sur le montant de l’emprunt, la montée au créneau d’Henri Guaino

    Au fur et à mesure que le débat se poursuit sur le montant du « Grand emprunt », il apparait de plus en plus que cette proposition est avant tout une idée du « conseiller spécial » du président, Henri Guaino, qui continue à vouloir défier l’orthodoxie économique en défendant bec et ongles un montant oscillant entre 80 et 100 milliards. Ceci a provoqué l’ire de François Fillon, qui lui a rétorqué avec une violence qu’on ne lui connaissait pas « que les conseillers du président ne faisait pas partie de l’exécutif ». F. Fillon, comme la commission Juppé-Rocard, comme l’essentiel des députés de la majorité et comme l’opposition propose un emprunt oscillant entre 25 et 50 milliards alors que H. Guaino et 63 députés UMP défendent une fourchette plus grande. S’il est vrai qu’un emprunt inférieur à 50 milliards n’a plus grand-chose de « grand », il parait impossible au regard de la dette publique d’emprunter plus.

    Bruxelles s’inquiète de la dérive budgétaire française

    Faire souscrire un grand emprunt alors que déficit public oscille entre 7 et 8 % du PIBpour les années budgétaires 2009 et 2010, inquiète la Commission Européenne, qui a d’ores et déjà demandé à la France de revenir à un déficit inférieur à 3% (critère de Maastricht) d’ici 2013. Bruxelles demande de surcroit que l’emprunt soit comptabilisé dans le déficit budgétaire 2010, et pas comme l’a prévu la commission Juppé en « hors bilan ». Pour tenter de désamorcer la crise, N. Sarkozy a déclaré que les 13 Mds que sont en train de rembourser les banques, renflouées en 2008, iraient directement compléter les dépenses prévues par le grand emprunt, qui sera donc allégé d’un montant équivalent. Il n’est absolument pas certains que cela soit suffisant pour rassurer Bruxelles.

    Des investissements finalement assez classiques

    Pour N. Sarkozy « les dépenses d’avenir » se divisaient dans trois défis prioritaires : l’économie de la connaissance (et notamment le financement de l'enseignement supérieur), la compétitivité des entreprises (avec en particulier le problème de l'insuffisance de leurs fonds propres) et le soutien aux investissements industriels stratégiques ; une annonce qui se voulait novatrice.

    Les premières mesures annoncés par Alain Juppé sont les suivantes : financer la recherche et des secteurs prioritaires tels que les énergies nouvelles, les sciences de la vie, en particulier les biotechnologies, l'économie numérique (le très haut débit), la ville du XXIe siècle, et les véhicules du futur. Ces mesures ne sont absolument pas révolutionnaires et s’il paraît intéressant de soutenir financièrement ces secteurs de recherche déjà très actifs, on peut aujourd’hui s’interroger sur la nécessité d’une telle agitation.

    Conclusion : le grand emprunt n’est rien d’autre qu’une vaste opération médiatique

    Au regard du cadre grandiose de son annonce, de la réalité de sa souscription, de son montant et des investissements qu’il va soutenir, le « Grand emprunt » apparait comme un coup de publicité du président et pas grand-chose de plus. Les difficultés financières de la France sont, bien entendu, la cause du décalage entre l’annonce présidentielle et la réalité du « Grand emprunt » prévu par la commission Juppé/Rocard, mais cette mesure apparaît aujourd’hui comme une coquille vide, qui ne représente qu’une pierre supplémentaire de l’endettement français, rejetée, si l’on en croit les sondages, par une majorité de la population. Quant à l’opération politique « d’ouverture », elle aura donc fait long feu, même si, l’idée d’un grand emprunt vient de François Hollande, qui le préconisait à l’échelon européen (débat parlementaire du 08/10/2008)…


    Fabien Duquesne


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