•           A parcourir l'ouvrage de l'Institut Montaigne autour du questionnement "Qu'est-ce qu'être français?", un constat préliminaire s'impose : la rhétorique des intellectuels de ce "laboratoire d'idées" n'invite pas spécialement au débat et l'on s'inscrit plus ici dans un jeu de questions-réponses. Ce jeu, on le retrouve particulièrement bien mis en scène dans le texte de Max Gallo : à la question de l'Institut, l'académicien donne 10 réponses intitulées "les 10 points cardinaux de l'identité française". Il s'agit d'un texte écrit en 2008 et que l'on retrouve dans plusieurs interviews de Max Gallo parus avant et après la publication de Qu'est-ce qu'être français?, un texte donc dont ce dernier fait un usage diffus pour répondre au grand débat lancé sur l'identité nationale et s'y positionner. Les cadres formels de ce texte d'une longueur de trois pages et demie sont un peu surprenant: l'"identité française" se résumerait-elle aussi rapidement? Par ailleurs, ces dix points cardinaux, si ils constituent les lignes directrices de ce que Gallo nomme "l'âme de la France", ne dépassent pas chacun 5-6 lignes. Une présentation rapide donc et l'on peut s'inquiéter d'avance de son éventuelle facilité pour répondre à une question si vague et si large en si peu de mots. La question "Qu'est-ce qu'être français" n'est elle-même pas interrogée dans sa viabilité, et réussir à circonscrire l'identité nationale en 10 points impose de fait une certaine limitation du débat.

     

    Cette limitation du débat se retrouve en outre dans le détail des points cardinaux présentés, le plus souvent des concepts complexes et très vastes comme celui de "liberté",  ou d'"égalité" qui dans les quelques lignes dont ils font l'objet ne sont pas véritablement définis. Max Gallo préfère l'allusion historique pour détailler ces derniers. Par cette pratique de citation, il entend ainsi fonder la légitimité de sa pensée à la lueur d'un passé le plus souvent édulcoré - on pense ici à sa rapide définition d'une égalité millénaire citant un "proverbe médiéval": "Celui qui est plus haut que nous sur terre, est l’ennemi" -. Mais plus fondamentalement, il s'agit aussi d'élaborer les contenus idéologiques de l'abstraction identitaire portée par le gouvernement actuel : "l'identité nationale". Il convient de rappeler que dans le sillage des conseillers de l'Elysée, Max Gallo avec l'appui du conseiller spécial Henri Guaino ont façonné les usages de l'histoire du président Sarkozy promoteur du "rêve français". On ne saura s'étonner de leur communauté de pensée en la matière et on nuancera ainsi la politique d'indépendance intellectuelle revendiquée par l'Institut Montaigne1 qui collabore ici avec des personnalités tout à fait intégrées au pouvoir2.

    Prenons à présent un exemple précis de cet usage de l'histoire qui vise à justifier une certaine identité française et à véhiculer par la même tout un discours idéologique nationaliste. Il s'agit de l'avant-dernier point "L'égalité des femmes" où Max Gallo insiste sur la centralité de la participation féminine dans le champ politique. Notons tout d'abord que ce point fait écho au deuxième "point cardinal", "l'égalité", défini très sommairement comme une mise a niveau entre les individus. Cependant les femmes semblent constituer une catégorie à part puisqu'elles font l'objet d'une égalité spécifique. On retrouve ici un des leitmotivs des propos du président lors de la campagne de présidentielle de 2007 sur la spécificité de l'identité républicaine française : "Les femmes, en France, sont libres, comme les hommes, libres de circuler, libres de se marier, libres de divorcer. Le droit à l’avortement, l’égalité entre les hommes et les femmes, ça fait partie aussi de notre identité." Leitmotiv que l'on retrouve sous la plume de Max : "Dans cette « union » entre citoyens, les femmes ont depuis le Moyen Âge joué un rôle central même si leur place dans le champ politique ne leur a été reconnue qu’au vingtième siècle. Mais l’égalité a été pratiquée avant d’être admise". Il y aurait donc une spécificité française millénaire en matière d'égalité homme/femme. Dans l'hebdomadaire La Vie du 6 novembre, Max Gallo avait d'ailleurs intitulé ce point la "sociabilité française" pour caractériser cette égalité "pratiquée avant que d'être admise". Ce terme de "sociabilité" que l'on trouve également à la toute fin du texte de l'Institut Montaigne donne en fait un autre éclairage à cette perception de l'égalité homme/femme. En fait d'égalité, l'auteur nous parle plutôt du relationnel homme/femme. Cette orientation explique que le terme de "parité" renvoyant à un principe concret éthique et politique d'égalité entre hommes et femmes qui vise à lutter contre les disparités sociales et politiques entre les sexes, soit absent du texte. 

    L'égalité des femmes passent par d'autres canaux moins pragmatiques selon ce dernier qui fait de l'amour courtois le symbole de celle-ci: "Est français celui qui sait pratiquer l’amour courtois, reconnaître l’égalité ou la supériorité des femmes. Et on juge souvent de la capacité à être français à l’aune de la faculté à reconnaître cette place éminente à la femme". C'est la galanterie et non les dispositifs politiques et sociaux qui assure l'égalité entre hommes et femmes. Cette posture intellectuelle est problématique car l'amour courtois ou la galanterie ne sont pas des essences intangibles. Ils constituent des dispositifs sociaux et culturels qui génèrent une certaine relation entre les sexes. Ces dispositifs sont les produits historiques d'un ordre politique et social "androcentré", la figure masculine est dominante de l'amour courtois féodal à la galanterie du XIXe siècle. Les études historiques actuelles insistent d'ailleurs sur ces dispositifs de prise en charge des femmes par les hommes qui assurent ainsi leur contrôle dans l'architecture sociale. Selon l'historien et politiste Yves Poirmeur, « le modèle de «cour », qui (...) a structuré la «civilisation des mœurs », a institué durablement, un certain rapport entre les hommes et les femmes fait de politesse, de courtoisie et de galanterie ; celui-ci ; largement diffusé, tient subtilement les femmes à distance des choses sérieuses et préserve, en les détournant, le monopole masculin sur les affaires politiques »3 . Ce modèle de la galanterie et les rapports de séduction y afférant ne constituent pas tant un trait spécifique de l'identité française qu'ils participent d'un dispositif de pouvoir qui hiérarchise les relations entre les sexes.

    Par ailleurs, les exemples des reines, des courtisanes, des salonnières ou encore des femmes savantes égrenées par Max Gallo comme autant de preuve de cette égalité homme/femme sont plus que contestables car ils n'invoquent qu'une certaine forme de présence féminine dans le champ politique et il s'agit plus de stratégies d'influence que d'une réelle participation politique alors que l'ordre politique reste contrôlé par les hommes. Max Gallo ne nous cite que des femmes de l'élite, proches du pouvoir, une vision très réductrice de la population féminine, de leurs vécus et de leurs actions politiques au quotidien. Mais l'auteur préfère en appeler aux beaux sentiments de l'amour courtois qui glorifient la femme comme objet de désir, de respect et d'amour. Ce n'est pas donc la femme-sujet, libre et autonome, qui est ici mise en valeur dans ce "rapport d'égalité" mais son objectivation fantasmatique par les hommes. De plus, c'est moins la cohérence historique du propos qui joue ici que la stratégie rhétorique d'une "histoire bling bling" pour reprendre l'expression de l'historien Nicolas Offenstadt qualifiant ainsi les politiques mémorielle actuelles menées à l'initiative de l'Élysée.  Ce dernier a particulièrement bien défini cette histoire qui "fait briller" dans un "grand mélange où tout s’entrechoque comme dans une boîte de nuit où les néons tournent à plein : des grands noms (Jaurès ou Jeanne d’Arc), des grands événements (les Croisades ou la Seconde Guerre mondiale), le tout mélangé sans hiérarchie, sans contexte, sans souci d’explicitation"4 

    Par ailleurs, l'égalité homme/femme définie par Gallo ne sert pas uniquement à caractériser l'identité nationale mais comme l'a bien remarqué le sociologue Eric Fassin dans son article "Les femmes au service de l'identité nationale" à assurer la supériorité des valeurs de la France5 . Par ce point il s'agit de dresser les traits d'une civilisation "à la française" singulière. Cette singularité selon Eric Fassin s'affirme par rapport à des contre-modèles agités par le gouvernement actuel : contre-modèles que sont les stéréotypes racialisés d'une culture islamiques ou africaines qui tour à tour séquestrent et mutilent les femmes. Le roman national de Gallo est un roman nationaliste qui par ces pratiques discursives affirme la place de la France et de ses valeurs par rapport à des repoussoirs négatifs, jamais cités, mais omniprésents entre les lignes. D'ailleurs, dans une interview du 2 décembre paru dans le Point autour du débat sur l'identité nationale, Gallo revient sur cette suprématie à la française en matière d'égalité : "Il y a aussi "la sociabilité française", c'est-à-dire notamment l'égalité homme-femme, qui s'est forgée dans l'amour courtois, les favorites, les femmes savantes... Nous avons toujours imposé au rapport homme-femme une règle qui existe dans fort peu de pays : l'épanouissement de la femme"6 . Quand on sait que celles-ci ont du attendre 1944 pour obtenir le droit de vote, 1965 pour avoir leur propre compte bancaire, 1967 pour le droit à la libre contraception ou encore 1975 pour celui à l'avortement, cette vision intangible  - "nous avons toujours imposé..." - nous apparaît tout à fait douteuse.

    Cette démonstration affirme plus qu'elle n'analyse véritablement ces "points cardinaux" de l'identité française, et d'ailleurs dès qu'on tente d'étudier ces propos on touche à des contresens historiques. Le caractère a-scientifique et décontextualisé de ces usages de l'histoire par l'académicien vise moins à susciter la réflexion du lecteur que son adhésion au "roman national" qu'il met en scène à travers ces quelques pages. Les femmes constituent donc un objet-prétexte, au service d'une rhétorique qui ne débat pas, mais glorifie véritablement l'identité nationale. Cette tendance du discours de Gallo est révélatrice d'un des moteurs pervers de ce "grand débat" autour de l'identité nationale. Un débat qui réduit d'emblée la diversité nationale à une identité unique dont c'est moins la définition de sa complexité qui intéresse l'historien organique du pouvoir Max Gallo que le fait d'entretenir une sorte de nationalisme mémoriel simpliste où l'on est juste "fier d'être français"7 .

    "La République n'a pas d'identité assignée, figée et fermée, mais des principes politiques, vivants et ouverts. C'est parce que nous entendons les défendre que nous refusons un débat qui les discrédite. Nous ne tomberons pas dans ce piège tant nous avons mieux à faire : promouvoir une France de la liberté des opinions, de l'égalité des droits et de la fraternité des peuples"8

    Extrait de "Nous ne débattrons pas", appel lancé le 2 décembre 2009 par Médiapart avec deux cents personnalités visant à refuser le «grand débat sur l'identité nationale» organisé par le pouvoir. 

    Clyde P.



    1 sur la première page du site on peut lire "L'Institut Montaigne - Think Tank indépendant" http://www.institutmontaigne.org/site/page.php

    2 Dernièrement dans une dépêche de l'AFP du 4  avril 2009 on pouvait lire : "L'historien Max Gallo estime que l'élection de Nicolas Sarkozy était "aussi importante" que celle d'Obama, dans un entretien au Parisien-Aujourd'hui en France".
    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/04/04/01011-20090404FILWWW00618-max-gallo-flatte-sarkozy.php

    3 Yves POIRMEUR, « Conclusion générale. Domination masculine et politiques du genre. Dérive à partir de l’exemple camerounais », in Luc SINDJOUN (dir), La biographie sociale du sexe, Paris, Karthala, 2000.

    4 Nicolas OFFENSTADT, L’Histoire bling-bling. Le retour du roman national, Paris, Stock, 2009.

    5 http://observatoire2.blogs.liberation.fr/normes_sociales/2009/11/les-femmes-au-service-de-lidentité-nationale.html

    6 http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2009-12-02/max-gallo-en-chaque-francais-il-y-a-un-etranger/920/0/400886

    7 Max GALLO, Fier d'être français, Paris, Fayard, 2006, 135 p.

    8 http://www.mediapart.fr/journal/france/021209/lappel-de-mediapart-nous-ne-debattrons-pas



  •                Version moderne et américanisée du club de réflexion, le think tank réunit un groupe individus cherchant à formuler des réponses et des solutions à des problèmes politiques et de société. Le think tank se démarque du club par sa volonté affichée de peser dans les choix politiques et sa présence importante sur la scène médiatique.

                   Le think Tank Institut Montaigne a été créé en 2000 par Claude Bébéar, fondateur d'AXA. Il se donne pour objectif de donner la parole à des acteurs de la société civile et d'influencer les politiques publiques autour de trois axes : mobilité et cohésion sociale, modernisation de la sphère publique, stratégie économique et européenne.

    On y retrouve de nombreux chefs d'entreprise, des hauts-fonctionnaires, des membres de professions libérales du droit et du consulting et des enseignants-chercheurs : une société civile (sic) réduite à un réseau de CSP ++, révélateur d'un élitisme important,

    Sa position sur l'échiquier politique est ambiguë : le directeur général de l'Institut, Philippe Manière, dit qu'il est composé d'autant de gens de droite que de gauche1 tandis que Libération le qualifie « d'institut ultralibéral »2.

    On peut regarder cela au travers de quelques propositions de l'association.

    Sur l'université, l'Institut appelle à une augmentation des frais d'inscription afin « de servir d’aiguillon de la concurrence entre les établissements et de responsabilisation des étudiants dans leurs choix d’orientation » : un genre de discours récurrent chez V. Pecresse3.

    Dans le cadre de sa réflexion sur le thème Diversité et égalité des chances, L'Institut prône la mise en place de la discrimination positive4, une idée que la droite affectionne particulièrement, Sarkozy la soutenant à plusieurs reprises.

    A l'opposé, l'Institut peut avoir des propositions qui sentent légèrement le gauchisme comme nous l'explique un article de Libération en mars dernier5 : « nationalisation de pans entiers de l’industrie financière mondiale », taxation des activités spéculatives des banques et tout cela pour que « l’ensemble des marchés mondiaux de dérivés [contribue] à l’intérêt général et non plus seulement à l’intérêt de quelques grappes de traders sans supervision rigoureuse. ».

    Après un rapide survol des différents articles que l'on peut trouver sur la toile concernant l'Institut Montaigne, l'internaute peut tout de même se faire cette réflexion : tout ce qui se revendique de gauche critique les propositions de l'association et la caractérise comme libérale, tout ce qui se dit de droite ne semble pas critiquer les positions de l'institut et seul celui-ci se dit indépendant de toute étiquette politique. Mis à part que Claude Bébéar dirige le comité des sages du Medef, connu pour sa neutralité sur l'échiquier politique …


    Ian LD


    5Voir note n°2


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                                     Nous avons pu obtenir l’ouvrage collectif Qu’est-ce qu’être Français ?, organisé sous l’égide de l’Institut Montaigne et publié chez Hermann Edition. Le livre sort demain et nous avons décidé de vous faire part d’une première critique générale de l’ouvrage avant de revenir dans la semaine sur certaines contributions. La sortie de l’ouvrage correspond au premier acte du « grand débat » lancé par Eric Besson. L’ouvrage doit, selon le site de l’Institut, être « sans concessions mais bienveillant. Au-delà de la variété des parcours, dix-neuf approches riches, ouvertes, positives, en écho à la pensée de l’historien Fernand Braudel : « la France est diversité.[1] » Le livre est très hétérogène autant par les parcours des auteurs que par la longueur de leurs contributions. Aucun modèle ne fut prédéfini, chacun écrivit selon son inspiration. Nous pouvons interroger la façon dont ces contributions ont été commandées par l’institut Montaigne puisqu’il y a des auteurs qui remettent en cause le débat d’Eric Besson[2].Nous essayerons ici de comprendre l’architecture générale de ce livre pour en faire ressortir les récurrences et les idées phares.

     

     

                                     Le volume des contributions est variable, de deux à plus de dix pages selon les auteurs. Ce qui est frappant dans l’organisation de l’ouvrage est l’alternance de textes politiques, voire polémique, comme celui de Marc Odendal[3], avec des passages très anecdotiques, dans lesquels les auteurs décrivent leurs parcours personnels, ainsi Ana Palacio[4] lorsqu’elle se souvient des lectures de son grand-père.  Le choix des auteurs[5] est sans doute l’un des éléments de compréhension de ses différents styles d’écriture. Les auteurs sont pour la plupart des anciens élèves des « grandes écoles » (ENS / Polytechnique / la Sorbonne) ou des professeurs dans ces mêmes établissements, dans des filières telles que le droit, la philosophie ou la science politique. Le second ensemble d’auteurs correspond à des écrivains – essayistes, comme Gaston Kelman, ainsi que des personnalités « associatives » tel que Thaima Samman (membre fondateur SOS Racisme). Dans cette seconde catégorie, on peut remarquer qu’ils sont tous « français d’origine… ». Leurs propos reflètent surtout leurs parcours personnels et racontent leurs histoires, c'est-à-dire leurs intégrations. Il y a donc deux ouvrages qui cohabitent : un plus politique voire idéologique et un autre beaucoup plus bibliographique justifiant souvent la théorie du premier. Comme dans le débat plus général « qu’est ce qu’être français » et la question de l’immigration sont imbriqués semble-t-il volontairement et naturellement.

     

                                    

                                     On retrouve dans ce recueil certaines idées des contributions que nous avions pu lire sur le net, et qui sont ici reprises de manière récurrentes. L’exemple de la France « Black-Blanc- Beur » du Mondial de Football 1998 est repris à plusieurs reprises. Le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité », l’honneur du drapeau et de la Marseillaise sont aussi récurrents. Mais c’est à la lecture de passages plus politique que nous pouvons reconstituer la pensée globale de l’ouvrage.

     

                                     Le premier élément est que la France est en crise et en danger.
    Gaston Kelman pense que « les communautarismes et les intégrismes nous guettent[6] »,  Marc Odendall pense lui que si « nous renonçons à être français […] nous disparaitrons en tant que Français[7] » pendant que Shan Sa s’inquiète de la perte du niveau de la langue française.  Ceux qui ont fait le choix de répondre à l’invitation de l’Institut, constatent que l’identité française est en crise. La crise est à la fois interne (la langue, l’éducation, la fierté) et externe (le danger de l’intégrisme). Diagnostiquer une crise permet de se positionner pour le gouvernement comme celui qui va guérir ce mal[8].

     

                                     La contribution de Marc Odendall, « Etre français : un engagement, une responsabilité »,  est sans doute la plus intéressante  car elle synthétise à elle seule, les récurrences de l’ouvrage. Selon l’auteur, l’élément fondamental de la problématique est selon lui, que  les Français n’ont plus la volonté d’être. Être français, « il faut le vouloir [9]». Cette absence de volonté s’explique selon lui d’abord par le fait que l’enfant qui « naît d’abord français, est d’abord rattaché « à une tradition familiale ». Le premier lien de « cette francité » est alors la famille où plutôt la bonne famille que chaque enfant français devrait avoir. J’indique « bonne » car l’auteur souhaite à la fois « des parents capables » et « cohérent » c'est-à-dire qui « aiment la France ».  Il propose même de former ces parents qui par définition seraient incapables. La notion familiale est récurrente dans l’ouvrage, notamment chez les écrivains qui expliquent tout au long de ces lignes autobiographiques que c’est par une « mémé[10] », un « père » ou une « mère émue[11] » qu’ils auraient aimé la France. La famille et le lien maternel sont alors exacerbés et liés à l’idée de la France.

     

                                    

                                     Le second élément à l’origine de cette crise identitaire serait l’éducation et d’un point de vue générale des savoirs enseignés et diffusés par les Universités.

     

    « Nous plaquons plutôt notre vérité sur les faits, quitte à contraindre la nature. Cela peut aboutir à la Terreur, influence des totalitarismes (voire, entre autres, les Khmers Rouges au vingtième siècle, que l’Université française à si bien formé) […] plus de 50% des Français[12] se méfient de l’économie libérale (ils devraient se méfier de leurs professeurs d’économie, il suffit de voir comment cette matière est enseignée à l’école). [13]»

     

    Ce passage est caractéristique dans le sens où l’on observe dans certaines contributions cette idée que la France serait sous l’emprise d’une pensée dominante, sans doute de gauche, et que certains comme monsieur Odendall oseraient critiquer.  Michel Maffesoli entame sa contribution par «  Ainsi, à titre d’hypothèse et au risque d’aller à contre-courant des pensées convenues[14] »,  Gaston Kelman indique qu’elle n’est pas loin l’époque où «  la sociologie nous intimait à tous de respecter les cultures des auteurs […] même si ces mœurs, ces coutumes et ces traditions heurtaient les sensibilités de la France éternelle[15] ». Après la peur de l’intégrisme venant de l’extérieur, voilà revenir le mythe de l’intelligentsia.  Ce vocabulaire est commun aux défenseurs de ce débat, Eric Besson est notamment revenu sur cette notion lors de son entretien avec Guillaume Durand[16], ainsi que Nicolas Sarkozy lors de la remise de la Légion d’Honneur à Dany Boon.

     

                                     Face à ce tableau peu réjouissant que nous propose Marc Odendall, qui identifie la France à un pays de fonctionnaires, de « PME peu dynamique », et d’un monde du travail « sclérosé […] attendant tout du chef » qui nous amène selon lui « à la tombe[17] », celui-ci propose de « redevenir français ». Rien que ça ! L’auteur propose au final un « renouveau intellectuel et moral »  et de « renouer avec quelques valeurs bien françaises –paysannes ou aristocrates, qu’importe – qui se résumeraient dans le triptyque suivant : « Confiance, Audace Générosité »[18]. La paysannerie et la notion de terre sont maintes fois utilisées dans cette publication. On la retrouve chez Thaiman Samman qui « en bonne Française » a besoin « de [se] sentir reliée à un terroir, un territoire limité[19] ». A l’image de ce qu’en pense notre président, la terre est un des éléments qui définit, selon l’ouvrage, notre identité.

     

     

                                     L’institut Montaigne indique dans son avertissement que le but de sa démarche est de comprendre « cette francité ». Il construit ce concept selon deux critiques internes et externes de la France et organise un discours idéologique se basant généralement sur le mythe et le fantasme. Le fantasme d’abord de la peur de l’intégrisme mais aussi de ces « mauvais français » qui éduquent mal leurs enfants. Le mythe de la France éternelle ensuite, de cette mère imaginée, de cette terre désirée que les différents passages autobiographiques de « français d’origine de … » contribue à justifier. A part la contribution de Njat vallaud Belkacem qui est assez critique, la plus part des interventions justifient l’intégration de « nouveaux français ». La question de l’intégration est continuellement évoquée dans l’ouvrage, on relate l’intégration par le lycée étranger, par la famille ou bien encore par l’armée. La contribution de Tidjane Thiam, dans laquelle celui-ci évoque l’émotion de sa mère lors de son passage dans le défilé du 14 juillet est caractéristique du rôle qu’on attribue à ces passages biographiques. Ils représentent ici « les bon français intégrés » et sont la bonne conscience de l’ouvrage qui dans sa globalité exprime un sentiment de méfiance et d’une peur de l’avenir. On peut être persuadé que certains seront surpris, s’ils lisent les autres contributions. Alfred Grosser a notamment indiqué que le débat sur l’identité nationale était « démagogique[20] », il y participe néanmoins à cet ouvrage qui répond aux mêmes thèmes.

     

                                      A la lecture de ces témoignages, l’identité nationale française se construit selon la famille, l’éducation, l’émotion suscitée par les histoires des français d’origines. Le savoir est mis à mal, là où les sciences humaines sont caricaturées et où la peur de l’intégrisme est brandie. A quoi sert un tel débat ? A relancer une formule bien connue par le gouvernement en place : identité, immigration, sécurité. D’un point de vue général, l’ouvrage reflète une pensée tiède où l’anecdote et l’émotion permettent de cautionner des idéologues aux vieux habits.

                                    

     

                                     Jean B.               

     

     

     

     

     



    [2] Alfred Grosser, « Identités françaises », in Qu’est ce qu’être français, Institut Montaigne (coord), Paris, 2009, pp 47-63. Cet auteur est intervenu dans le Sud Ouest du jeudi 5 novembre.

    [3] « Etre français, un engagement, une responsabilité », p 85-93

    [4] « Afrancesados », p95-99

    [6] P68

    [7] P93

    [8] N. Offenstadt, L’histoire Bling Bling le retour du roman national, Stock, Paris, 2009.

    [9] P85

    [10] Gerardo della Paloera

    [11] Tidjane Thiam

    [12] Chiffre sans référence.  Argument d’autorité.

    [13] P88

    [14] P72

    [15] P68

    [16] Lors de l’émission de l’objet du scandale du mercredi 11 novembre. Lien : http://programmes.france2.fr/objet-du-scandale/index.php?page=article&numsite=2225&id_article=5174&id_rubrique=2228

    [17] P91

    [18] P93

    [19] P119



  •                Avec cet article, Place de la Sorbonne inaugure une série d'articles qui aura pour objet une analyse critique de l'ouvrage Qu'est-ce qu'être français ? publié par l'Institut Montaigne.
    "A l’heure où les signes de l’identité française sont souvent moqués ou mis en cause (sifflements de la Marseillaise, cartes d'identité brûlées…), notre pays ne peut s’abstenir d’une réflexion sur cette question majeure : "Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ?". [...] Cette question, l’Institut Montaigne l’a posée à dix-neuf personnalités. Dix-neuf auteurs d'origines, de cultures, de professions différentes. Dix-neuf approches riches, ouvertes, positives, où s’illustre la pensée de l’historien Fernand Braudel : la France est diversité. Les contributions sont suivies d'une interview – bien sûr imaginaire et posthume – d'un des plus grands écrivains français qui soient, Montaigne."

    1ere partie de notre analyse : l'Avertissement, pages 7 et 8.

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                   Dès la première page, que dis-je ? Le premier mot, le décor est planté. Ce n’est pas une introduction, pas un préambule, ni même une préface qui invite le lecteur à poursuivre sa lecture. Non, il s’agit ici d’un « Avertissement ». Attention lecteur, cette œuvre littéraire mérite une mise en garde ! Tels les avertissements du CSA1, la lecture peut parfois heurter les âmes sensibles.

    « Qu’est ce qu’être français ? 2» est donc « une question (…) d’apparence banale3 » qui nous est posée très innocemment par le ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Elle est relayée ici par l’Institut Montaigne sous la forme de dix neuf témoignages.

    Une suite de questions constitue l’introduction de cette brève mais dense présentation. Il est rare que les questions soient innocentes et ce d’autant plus lorsqu’elles sont posées par un « think tank indépendant4 » qui « nourrit l’ambition5 » d’aider « notre pays 6» à y répondre. Vaste ambition pour une vaste question…

    La première est déjà surprenante : « suffit-il de vivre dans l’Hexagone ?7 »

    On peut avec une extrême célérité, sans même lire une ligne supplémentaire, répondre NON. Car si un seul utilise cet argument, alors, nous pourrons aisément lui rétorquer qu’il fut un temps où la France, rayonnait grâce à son empire colonial, et que de celui-ci nous conservons des « miettes d’Empire 8» dans plusieurs endroits du globe. Il est peut être bon de rappeler que ces morceaux de France sont hors Hexagone.

    « D’y être né ? 9» est la seconde question. Celle-ci sous entendrait qu’une intégration même réussie ne suffirait pas pour se dire ou se sentir français. Pourtant Mr Besson, depuis lundi a annoncé qu’il récompenserait « les efforts d’intégration 10» par des bourses étudiantes pour « ceux qui n’étaient pas francophones au départ, et qui ont obtenu une mention bien ou très bien au bac 200911». La naissance est donc, elle aussi, de suite a écarter comme réponse à la question posée en couverture.

    Les francophones justement reviennent très vite puisque l’une des questions suivantes est « parler la même langue » Le français est langue officielle nous ne discuterons pas ce point, mais c’est aussi le multilinguisme qui fait la richesse de notre pays. L’unité linguistique prévaut certes ! Les Québecois parlent la même langue que nous, mais à priori cela ne les dispensent pas des formalités lorsqu’ils veulent venir s’installer dans « l’Hexagone ». En revanche, il est des langues qui vivent, qui se parlent, qui s’enseignent sur le sol national, qui viennent enrichir notre culture mais qui ne sont que régionales.

    « Hériter d’une culture12 » serait alors une question qu’il faut se poser afin de réussir à répondre à la question principale. « Culture » est ici au singulier. Il faudrait donc lors de la naissance ou de la naturalisation prendre en bloc La Culture française. A force de rechercher une supposée unité nationale, ce débat va finir par exacerber les « sous cultures13 ». Ces dernières sont définies de manière simpliste comme étant la culture spécifique à des sous-groupes, à l'intérieur d’une société globale, mais qui présentent avec cette dernière un certain nombre de traits culturels communs, mais aussi nombre de traits culturels spécifiques différents qui ne se retrouvent pas dans les autres groupes sociaux qui composent la société. Alors La Culture française serait cette supra entité culturelle. Il ne faut pas oublier que toute culture est relative et peut être la « sous culture » d’une autre. La question aujourd’hui ne devrait elle pas être plutôt posée de façon européenne ? Peut-on aujourd’hui continuer à construire la culture sans le reste de l’Europe ?

    A force de réclamer à corps et à cris l’unité, ce débat ne pourrait avoir comme résultat que de faire naître ou se renforcer des velléités revendicatives de toutes ces « sous cultures », de toutes celles qui finalement ne verront pas leurs valeurs figurer au beau catalogue de la Culture française.

    D’ailleurs l’Institut Montaigne ne cherche pas à comprendre ce qu’est « être français » il ne s’intéresse qu’à « l’ensemble des caractéristiques de ce qui est préalablement reconnu comme français 14». L’emploi du terme de « francité » (et ce à deux reprises) renforce cette impression.  La question « qu’est ce qu’être français ? » nécessiterait une réponse qui ne pourrait prendre en compte que les caractéristiques qui sont déjà reconnues comme françaises. Etre français serait donc une notion immuable qui ne souffrirait aucune nouvelle intrusion dans la liste préexistante de ce qui est propre à la France et reconnu comme telles.

    L’objectivité de cet ouvrage n’est pas non plus de mise puisque seuls « des hommes et des femmes amoureux de la France » s’expriment ici. Pas de voix dissonantes, pas de critiques, l’unité en somme… Le gouvernement et les débats qu’il entend mener ne semblent guère prendre en compte les voix différant de la leur. Ceci est dit, seuls ceux qui adhèrent et œuvrent dans le bon sens ont droit à la parole. Toute opposition est évacuée.

    Mais ce n’est pas comme cela que les choses sont présentées ici. Le débat ferait tellement l’unanimité qu’au lieu des « dix neufs contributions [qui] forment ainsi cet ouvrage, [il] aurait put en compter cent ou mille ». Il est évident que la foule se presse à la porte de l’Institut Montaigne pour pouvoir participer à cette publication… d’autant que « leurs contributions réunies sont autant d’approches de la francité contemporaine, étonnante combinaison de mythes constitués, d’attirances irrépressibles et de tendresses critiques ». Quel bel éloge, dès l’avertissement !

    D’autant que ces contributions sont celles de « personnes d’origines, de cultures, de formations, de professions différentes » mais à priori avec une opinion semblable à celle des chefs d’orchestres de ce débat. La diversité oui, mais « ce sujet majeur » a vocation à « offrir les mêmes chances d’être différents » à tous. A force de signaler les différences on pourrait tendre vers leur renforcement, à l’inverse, la mise en exergue de l’altérité renforcerait et valoriserait l’image de celui qui se définit comme un  vrai français 15. Cet avertissement nous laisse donc sur une douce note d’un retour du discours nationaliste mais avec des acteurs bien plus nombreux car celui-ci est désormais légitimé par le gouvernement lui même!

    CS


    1 Conseil supérieur de l’Audiovisuel qui a mis en place toute une série d’avertissement au public.

    2Institut Montaigne (coord.), Qu'est-ce qu'être français?, Hermann, Paris, à paraître le 17 novembre 2009.

    3 Ibid., p7.

    4 Comme il est définit sur son site internet cf. http://www.institutmontaigne.org/site/page.php

    5 Op. cit. , p8

    6 Ibid. , p8

    7 Ibid. , p7

    8 Cf. C.F. Jullien, « Les dernières miettes de l’empire », in Le Nouvel Observateur, lundi 15 décembre 1975, p 36.

    9 Op. Cit. , p7

    10 Dépêche AFP de lundi 9 novembre 2009 « Création de bourses étudiantes récompensant des efforts d’intégration ».

    11 Ibid.

    12Op. cit. , p7.

    13 F. Bloess, J. Etienne, J.-P. Norbeck & J.-P. Roux, Dictionnaire de sociologie, Ed. Hatier, coll. Initial, 1995.

    14 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/francit%C3%A9#

    15 Sur l’altérité voir les écrits de T. Todorov et notamment Nous et les autres, Paris, 1989.





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