• Le suicide chez France Télécom : Durkheim nous explique.


                    L'affaire a fait scandale : une vague de suicides à France Télécom. Depuis 2008, 23 salariés se sont donné la mort. Le président de l'entreprise a même choqué en parlant d'une « mode du suicide ».
    D'autre part, selon le site infosuicide.org, en 2007, plus de 10 127 décès par suicide ont été enregistrés en France métropolitaine.

                   Chez France Télécom et de plus généralement, se pose la question du pourquoi de ces suicides. Qu'est-ce qui peut pousser une personne à mettre fin à ses jours ?
    Ne cherchant pas à répondre à cette question, nous allons plutôt tenter de comprendre ce phénomène avec les outils construits par Emile Durkheim, l'un des fondateurs de la sociologie. Dans son ouvrage, Le Suicide, Durkheim construit une typologie (c'est-à-dire une grille d'analyse) des types de suicide ; pour l'auteur, il en existe 4 types s'inscrivant dans deux grands principes, la régulation et l'intégration. Essayons alors d'appréhender « les cas France Télécom » à l'aide de cette typologie.

    - L'« absence de formation » et la « désorganisation totale de l'entreprise »1

    Voilà quelques unes des raisons qui ont poussé un salarié marseillais de France Télécom à se suicider le 14 juillet 2009 et qu'il explique dans une lettre laissée à sa famille.
    Si l'on reprend l'analyse de Durkheim, nous nous trouvons face à un suicide anomique. Ici, l'individu est moins tenu, disons même moins soutenu par un ensemble de règles et de cadres. Tout comme la voiture sur une route de montagne sans barrière protectrice, la personne, sans ces cadres, risque de tomber dans le vide. Nous sommes donc face à un manque, un défaut de régulation.
    La fin de la lettre du salarié est très révélatrice : « Cela m'a totalement désorganisé et perturbé. Je suis devenu une épave, il vaut mieux en finir »

    - « Les procédures managériales pour gérer les salariés sont devenues très individualisées, voire infantilisantes. »2

    Un délégué CFDT essaye d'expliquer avec cette phrase l'ambiance de travail difficile qui a pu poussé Michel, technicien chez France Télécom, à se suicider le 30 août dernier. Auparavant, il avait eu en effet, deux conflits avec sa hiérarchie qui l'avait réprimandé, lui demandant «d’améliorer son comportement».
    Regardons attentivement ce cas : salarié individualisé, seul face à sa hiérarchie. Le délégué rajoute : « Cela crée un isolement très pénible. On en oublie le collectif. ». Un individu isolé, sans personne vers qui se tourner. Voilà le cas d'école d'un suicide égoïste ; l'individu n'est pas intégré et il lui manque ici aussi des cadres susceptibles de le soutenir : un autre individu.

    - « On a perdu notre autonomie, on a des outils automatisés qui nous disent tout ce qu'il faut faire, et on a l'impression d'être des pions »3

    Citant des salariés de l'entreprise, Stéphane Richard, le directeur général adjoint de France Télécom, a reconnu le 14 octobre 2009 que l'entreprise était « peut-être allée trop loin » dans les mécanismes de contrôle des salariés du groupe.
    En tant qu'apprentis durkheimiens, la phrase nous interpelle en suggèrant un excès de contrôle et de règle, c'est-à-dire un excès de régulation : élément fondateur du suicide fataliste4. Dans ce type de suicide, le nombre important de normes et le contrôle constant laissent peu de marge de manœuvre à l'individu qui s'en trouve perturbé.

                   Ainsi, nous avons passé en revue la typologie de Durkheim sur le suicide mais l'analyse pourrait être approfondie. Par exemple, il n'est pas inutile de mettre en relation le suicide égoïste et le taux de syndicalisation très bas : entre 1983 et 1987, suivant les chiffres d'infosuicide.org, on constate une hausse significative du nombre de suicides. En examinant les chiffres de l'Insee, on constate sur la même période, une chute brutale du taux de syndicalisation. Bien sûr, tout cela est à prendre avec du recul mais la coïncidence est troublante.

    Pourtant, les plus savants d'entre vous auront remarqué qu'il manque un élément : le 4ème type de suicide, le suicide altruiste. Opposé du suicide égoïste, il apparaît lors d'un excès d'intégration : l'individu ne se possède plus et est prêt à mourir pour quelqu'un ou quelque chose.
    Mais bon, ce type de suicide n'existe pas chez France Télécom : on ne le trouve encore qu'en politique où de nombreux députés UMP sont prêts au « suicide électoraliste » et votent des lois que ni eux, ni leur électorat ne veulent, juste pour faire plaisir à notre cher Président.

    Ian LD

    DURKHEIM, Emile, Le Suicide, 1897 – à lire en ligne ici


    4Même si la citation n'est pas liée directement à un suicide, elle traduit un malaise présent chez France Télécom.


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