• La "francité" de l'Institut Montaigne : de l'anecdote au mythe

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                                     Nous avons pu obtenir l’ouvrage collectif Qu’est-ce qu’être Français ?, organisé sous l’égide de l’Institut Montaigne et publié chez Hermann Edition. Le livre sort demain et nous avons décidé de vous faire part d’une première critique générale de l’ouvrage avant de revenir dans la semaine sur certaines contributions. La sortie de l’ouvrage correspond au premier acte du « grand débat » lancé par Eric Besson. L’ouvrage doit, selon le site de l’Institut, être « sans concessions mais bienveillant. Au-delà de la variété des parcours, dix-neuf approches riches, ouvertes, positives, en écho à la pensée de l’historien Fernand Braudel : « la France est diversité.[1] » Le livre est très hétérogène autant par les parcours des auteurs que par la longueur de leurs contributions. Aucun modèle ne fut prédéfini, chacun écrivit selon son inspiration. Nous pouvons interroger la façon dont ces contributions ont été commandées par l’institut Montaigne puisqu’il y a des auteurs qui remettent en cause le débat d’Eric Besson[2].Nous essayerons ici de comprendre l’architecture générale de ce livre pour en faire ressortir les récurrences et les idées phares.

     

     

                                     Le volume des contributions est variable, de deux à plus de dix pages selon les auteurs. Ce qui est frappant dans l’organisation de l’ouvrage est l’alternance de textes politiques, voire polémique, comme celui de Marc Odendal[3], avec des passages très anecdotiques, dans lesquels les auteurs décrivent leurs parcours personnels, ainsi Ana Palacio[4] lorsqu’elle se souvient des lectures de son grand-père.  Le choix des auteurs[5] est sans doute l’un des éléments de compréhension de ses différents styles d’écriture. Les auteurs sont pour la plupart des anciens élèves des « grandes écoles » (ENS / Polytechnique / la Sorbonne) ou des professeurs dans ces mêmes établissements, dans des filières telles que le droit, la philosophie ou la science politique. Le second ensemble d’auteurs correspond à des écrivains – essayistes, comme Gaston Kelman, ainsi que des personnalités « associatives » tel que Thaima Samman (membre fondateur SOS Racisme). Dans cette seconde catégorie, on peut remarquer qu’ils sont tous « français d’origine… ». Leurs propos reflètent surtout leurs parcours personnels et racontent leurs histoires, c'est-à-dire leurs intégrations. Il y a donc deux ouvrages qui cohabitent : un plus politique voire idéologique et un autre beaucoup plus bibliographique justifiant souvent la théorie du premier. Comme dans le débat plus général « qu’est ce qu’être français » et la question de l’immigration sont imbriqués semble-t-il volontairement et naturellement.

     

                                    

                                     On retrouve dans ce recueil certaines idées des contributions que nous avions pu lire sur le net, et qui sont ici reprises de manière récurrentes. L’exemple de la France « Black-Blanc- Beur » du Mondial de Football 1998 est repris à plusieurs reprises. Le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité », l’honneur du drapeau et de la Marseillaise sont aussi récurrents. Mais c’est à la lecture de passages plus politique que nous pouvons reconstituer la pensée globale de l’ouvrage.

     

                                     Le premier élément est que la France est en crise et en danger.
    Gaston Kelman pense que « les communautarismes et les intégrismes nous guettent[6] »,  Marc Odendall pense lui que si « nous renonçons à être français […] nous disparaitrons en tant que Français[7] » pendant que Shan Sa s’inquiète de la perte du niveau de la langue française.  Ceux qui ont fait le choix de répondre à l’invitation de l’Institut, constatent que l’identité française est en crise. La crise est à la fois interne (la langue, l’éducation, la fierté) et externe (le danger de l’intégrisme). Diagnostiquer une crise permet de se positionner pour le gouvernement comme celui qui va guérir ce mal[8].

     

                                     La contribution de Marc Odendall, « Etre français : un engagement, une responsabilité »,  est sans doute la plus intéressante  car elle synthétise à elle seule, les récurrences de l’ouvrage. Selon l’auteur, l’élément fondamental de la problématique est selon lui, que  les Français n’ont plus la volonté d’être. Être français, « il faut le vouloir [9]». Cette absence de volonté s’explique selon lui d’abord par le fait que l’enfant qui « naît d’abord français, est d’abord rattaché « à une tradition familiale ». Le premier lien de « cette francité » est alors la famille où plutôt la bonne famille que chaque enfant français devrait avoir. J’indique « bonne » car l’auteur souhaite à la fois « des parents capables » et « cohérent » c'est-à-dire qui « aiment la France ».  Il propose même de former ces parents qui par définition seraient incapables. La notion familiale est récurrente dans l’ouvrage, notamment chez les écrivains qui expliquent tout au long de ces lignes autobiographiques que c’est par une « mémé[10] », un « père » ou une « mère émue[11] » qu’ils auraient aimé la France. La famille et le lien maternel sont alors exacerbés et liés à l’idée de la France.

     

                                    

                                     Le second élément à l’origine de cette crise identitaire serait l’éducation et d’un point de vue générale des savoirs enseignés et diffusés par les Universités.

     

    « Nous plaquons plutôt notre vérité sur les faits, quitte à contraindre la nature. Cela peut aboutir à la Terreur, influence des totalitarismes (voire, entre autres, les Khmers Rouges au vingtième siècle, que l’Université française à si bien formé) […] plus de 50% des Français[12] se méfient de l’économie libérale (ils devraient se méfier de leurs professeurs d’économie, il suffit de voir comment cette matière est enseignée à l’école). [13]»

     

    Ce passage est caractéristique dans le sens où l’on observe dans certaines contributions cette idée que la France serait sous l’emprise d’une pensée dominante, sans doute de gauche, et que certains comme monsieur Odendall oseraient critiquer.  Michel Maffesoli entame sa contribution par «  Ainsi, à titre d’hypothèse et au risque d’aller à contre-courant des pensées convenues[14] »,  Gaston Kelman indique qu’elle n’est pas loin l’époque où «  la sociologie nous intimait à tous de respecter les cultures des auteurs […] même si ces mœurs, ces coutumes et ces traditions heurtaient les sensibilités de la France éternelle[15] ». Après la peur de l’intégrisme venant de l’extérieur, voilà revenir le mythe de l’intelligentsia.  Ce vocabulaire est commun aux défenseurs de ce débat, Eric Besson est notamment revenu sur cette notion lors de son entretien avec Guillaume Durand[16], ainsi que Nicolas Sarkozy lors de la remise de la Légion d’Honneur à Dany Boon.

     

                                     Face à ce tableau peu réjouissant que nous propose Marc Odendall, qui identifie la France à un pays de fonctionnaires, de « PME peu dynamique », et d’un monde du travail « sclérosé […] attendant tout du chef » qui nous amène selon lui « à la tombe[17] », celui-ci propose de « redevenir français ». Rien que ça ! L’auteur propose au final un « renouveau intellectuel et moral »  et de « renouer avec quelques valeurs bien françaises –paysannes ou aristocrates, qu’importe – qui se résumeraient dans le triptyque suivant : « Confiance, Audace Générosité »[18]. La paysannerie et la notion de terre sont maintes fois utilisées dans cette publication. On la retrouve chez Thaiman Samman qui « en bonne Française » a besoin « de [se] sentir reliée à un terroir, un territoire limité[19] ». A l’image de ce qu’en pense notre président, la terre est un des éléments qui définit, selon l’ouvrage, notre identité.

     

     

                                     L’institut Montaigne indique dans son avertissement que le but de sa démarche est de comprendre « cette francité ». Il construit ce concept selon deux critiques internes et externes de la France et organise un discours idéologique se basant généralement sur le mythe et le fantasme. Le fantasme d’abord de la peur de l’intégrisme mais aussi de ces « mauvais français » qui éduquent mal leurs enfants. Le mythe de la France éternelle ensuite, de cette mère imaginée, de cette terre désirée que les différents passages autobiographiques de « français d’origine de … » contribue à justifier. A part la contribution de Njat vallaud Belkacem qui est assez critique, la plus part des interventions justifient l’intégration de « nouveaux français ». La question de l’intégration est continuellement évoquée dans l’ouvrage, on relate l’intégration par le lycée étranger, par la famille ou bien encore par l’armée. La contribution de Tidjane Thiam, dans laquelle celui-ci évoque l’émotion de sa mère lors de son passage dans le défilé du 14 juillet est caractéristique du rôle qu’on attribue à ces passages biographiques. Ils représentent ici « les bon français intégrés » et sont la bonne conscience de l’ouvrage qui dans sa globalité exprime un sentiment de méfiance et d’une peur de l’avenir. On peut être persuadé que certains seront surpris, s’ils lisent les autres contributions. Alfred Grosser a notamment indiqué que le débat sur l’identité nationale était « démagogique[20] », il y participe néanmoins à cet ouvrage qui répond aux mêmes thèmes.

     

                                      A la lecture de ces témoignages, l’identité nationale française se construit selon la famille, l’éducation, l’émotion suscitée par les histoires des français d’origines. Le savoir est mis à mal, là où les sciences humaines sont caricaturées et où la peur de l’intégrisme est brandie. A quoi sert un tel débat ? A relancer une formule bien connue par le gouvernement en place : identité, immigration, sécurité. D’un point de vue général, l’ouvrage reflète une pensée tiède où l’anecdote et l’émotion permettent de cautionner des idéologues aux vieux habits.

                                    

     

                                     Jean B.               

     

     

     

     

     



    [2] Alfred Grosser, « Identités françaises », in Qu’est ce qu’être français, Institut Montaigne (coord), Paris, 2009, pp 47-63. Cet auteur est intervenu dans le Sud Ouest du jeudi 5 novembre.

    [3] « Etre français, un engagement, une responsabilité », p 85-93

    [4] « Afrancesados », p95-99

    [6] P68

    [7] P93

    [8] N. Offenstadt, L’histoire Bling Bling le retour du roman national, Stock, Paris, 2009.

    [9] P85

    [10] Gerardo della Paloera

    [11] Tidjane Thiam

    [12] Chiffre sans référence.  Argument d’autorité.

    [13] P88

    [14] P72

    [15] P68

    [16] Lors de l’émission de l’objet du scandale du mercredi 11 novembre. Lien : http://programmes.france2.fr/objet-du-scandale/index.php?page=article&numsite=2225&id_article=5174&id_rubrique=2228

    [17] P91

    [18] P93

    [19] P119


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