• « Eradiquer à la schlag » : l’autre visage du débat sur l’identité nationale


    Mots croisés, le lundi 9 novembre, consacrait une deuxième émission en deux semaines au thème de l’identité nationale, révélant un peu plus les enjeux de ce sombre débat. En effet, lors de ce numéro, Yves Calvi est revenu sur la question lancée par la ministre « Qu’est-ce qu'être Français ? ».

    Notons en premier lieu que le plateau proposé était loin de l’équilibre idéologique que l’on aurait put attendre d’un débat politique. La présence de Dominique Voynet laisse supposer qu’elle a du être une des seules personnalités dites de gauche à accepter de participer à ce débat (1). De plus, en lisant les différentes tribunes d’intellectuels par exemple, on peut émettre l’hypothèse que certains d’entre eux se mettent en retrait de cette discussion impulsée par le gouvernement. Il serait intéressant que l’émission précise les refus qu’elle a pu rencontrer lors de sa préparation(2) qui, au final, fait intervenir trois journalistes (3), dont Yves Calvi (4) ; un historien-démographe et deux politiques dont Fadela Amara.

                      Le premier tour de table a permis à chaque invité de lancer sa propre définition. Les interventions ont assez bien reflété ce que nous entendons depuis le début de cette controverse : respecter le drapeau, la marseillaise et la langue. La ministre a même indiqué son attachement à Edith Piaf, Yves Montand et la potée auvergnate, ce qui fera sans doute plaisir à son collègue Brice Hortefeux.

    A l’ouverture de la soirée, Yves Calvi avait amorcé une première réponse au thème de l’émission, en indiquant qu’être Français, c’est « d’abord posséder une Carte Nationale d’Identité ». Le débat n’était plus alors centré sur les Français en général, mais sur les nouveaux Français. Il réaffirme cette interrogation en demandant à Fadela Amara : «  Est-ce qu’on est français une fois qu’on l’a choisi et dès la première génération ?(5) ». La définition de l’identité nationale s’articule avant tout autour de la différenciation des Français, c'est-à-dire ceux qui ont la carte, vis-à-vis de ceux qui en font la demande. La seconde différenciation s’opère parmi les Français eux-mêmes entre ceux qui le sont par naissance et ceux qui le deviennent par choix. Trois groupes émergent donc : les Français, les nouveaux Français ou ceux qu’on qualifie ici « d’origine étrangère », et les étrangers qui apparaissent comme des demandeurs potentiels de cette nationalité. Il ne s’agit donc plus de savoir « Qu’est ce qu’être Français ?» mais « Comment devient-on Français ?».

                     Elisabeth Levy, journaliste et essayiste est la première à lancer selon elle « le vrai débat ». Elle affirme : « Pourquoi on a ce débat aujourd’hui ? […] Le visage de la France et l’identité nationale a changé, non seulement car nous avons eu en quelques années une très forte immigration d’origine extra-européenne mais parce que pour une première fois, une partie de cette population française affiche de façon déterminée et souvent très bruyante d’ailleurs, parfois illégale, son hostilité à la France. » Le souci n’est pas causé selon elle par l’immigration mais par les « Français d’origine étrangère ». Le but ici est alors de définir ceux qui constituent un danger pour cette identité dite française originelle sans doute ! Elle définit ce danger comme venant des « français d’origine étrangère » « magrébine et nord-africaine, c’est cela dont on parle », et musulmans(6), qui s’affirment dans le bruit et « l’illégalité » contre la France. A l’image des fantasmes de Philippe de Villiers concernant les mosquées cachées dans les aéroports parisiens, Elisabeth Levy relance ici la vieille croyance de l’envahissement de la France par les populations africaines. Elle réutilise le vocabulaire traditionnel de la droite pour caractériser cette population : en parlant du bruit, elle rappelle la formule de Jacques Chirac « le bruit et l’odeur ».

                     Partant de ce constat de peur et de crise de l’identité, l’essayiste va plus loin en affirmant que l’enjeu est l’assimilation, c'est-à-dire « fabriquer des français depuis des siècles avec n’importe quoi ». Le vocabulaire employé n’est pas anodin dans les propos de l’auteur : il faut choquer et faire peur. La juxtaposition entre « ces français d’origine étrangère » et un « n’importe quoi », reflète un peu plus le retour du refoulé xénophobe en France et notamment au sein d’émissions de télévision(7). Il faut utiliser des mots extraordinaires dans ce conte de la peur de l’autre.

    Elle justifie ses propos en se légitimant d’un savoir « de ce que vivent les gens », puis elle stigmatise et définit un peu plus cette population : ces « zivas » du métro. C’est autour du sujet de la burka, qu’elle exprime le plus simplement ses craintes : « on doit se protéger ». Elle précise même que l’enjeu n’est pas de protéger ces femmes, mais la population en général de cette menace. Face à ce danger, elle propose une solution : « éradiquer les différences à la schlag ». Je ne connaissais pas l’expression mais selon le dictionnaire, on peut définir « schlag » par fouet, trique, punition(8). Il faut selon elle, « être un peu dur » ! L’enjeu est encore de faire peur et de provoquer, elle insiste par la suite en détaillant quelques exemples. Elle tente de démontrer que « ces nouveaux français » jouissent de certains privilèges tels que « le porc à la cantine des enfants » ou bien encore que les salariés s’arrêtent « pour faire la prière ».


                   En écoutant les différentes prises de paroles de cette journaliste, on peut observer qu’en ce temps de crise, le débat ouvert propose ici surtout la définition d’un danger qui dans les mots d’Elisabeth Levy est celui de la population française d’origine étrangère musulmane et plus généralement une population voulant obtenir la nationalité française. Le dernier élément récurrent dans ces interventions est que « le danger » se serait déjà introduit dans notre société notamment lorsqu’elle indique « si dans les entreprises il y a 90% des gens qui disent : nous on veut que ça s’arrête à telle heure pour faire la prière, finalement, elles vont céder. ».  En quelques interventions, Elisabeth Levy a détaillé un imaginaire de la peur pour définir son identité nationale en crise : « une population extra-européenne », qui envahit la France dont « on doit [se] protéger » à laquelle nous aurions déjà cédé.

     



    Dans les propos de cette journaliste, l’enjeu de la soirée fut alors de définir une identité française pour exclure. Identifier les vrais français. Définir pour punir, et pour affirmer une différence entre « eux » et « nous ». Voilà l’un des visages du débat ouvert depuis deux semaines et qui se poursuivra encore pendant deux mois. C’était hier soir dans une émission du service publique, et le péril de l’immigration était de nouveau remis au premier plan. On était à quelques heures de la commémoration de la chute du mur de Berlin, et on entendait pourtant les mots « éradiquer à la schlag » à la télévision française. C’était hier soir et certains intellectuels et politiques refusent toujours de mener une critique sur ce débat et ses conséquences.

     

    A l’inverse de ce silence ambiant, certains comme Marcel Detienne(9), anthropologue, pensent encore qu’il « ne faut pas prendre le drapeau » mais faire la critique de ce débat. Il est important que subsistent des discours mineurs face à ceux du pouvoir.





    Lien pour revoir l'émission: http://mots-croises.france2.fr/58712510-fr.php

    Jean B.


    (1) Elle est absente des plateaux de télévisions depuis plusieurs semaines.

    (2) Si ce n’est pas le cas, peut-on parler réellement de débat.

    (3) Dont deux de journaux connus plutôt pour être de droite.

    (4) C’est l’une des particularités d’Yves Calvi qui prend toujours part au débat qu'il organise avec des formules comme « on est d’accord pour dire, qu’il y a aussi des difficultés ? ».

    (5) Question posée à 00:10:56

    (6) Elle revient à plusieurs reprises sur cette population en la caractérisant «faire la prière », « la burka » , « le porc » . La population musulmane est tout au long de son discours visé.

    (7) Voir l’émission Dimanche + où on a pu entendre, lors d’une réunion de quartier du 7eme arrondissement, la peur d’une dame « de la nuée de sauterelles venus d’Afrique » sur le Champ de Mars. http://www.canalplus.fr/pid2180.htm


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